J’ai mis une playlist Pour écrire dans mes oreilles. Ce sont des morceaux au piano, très doux, on entend même le rebond des touches. Je vais changer, il me faut quelque chose de plus puissant. Quand j’écrivais dans mon blog de maman, il y a des années de ça, je mettais toujours la même musique dans mon casque : l’album de Aaron sur lequel il y a U-Turn(Lili). Cette chanson qui a tant de sens pour moi. C’est la BO du film « Je vais bien ne t’en fais pas » qui m’a tellement touché. Ce film passait à la télé le 27 avril 2009. Je l’ai regardé pour la nième fois, tout en faisant du repassage je crois. La lumière du salon était tamisée, je me sentais bien. C’était doux, comme dans un cocon.
Pourtant, à ce moment là le cocon c’était moi. J’abritais bien au chaud dans mon ventre mon deuxième enfant. J’aimais ça, sentir la vie à l’intérieur de moi. Je trouvais fascinant ce que la nature était capable de faire, de partir de presque rien pour qu’au final un petit être humain se construise progressivement et finisse par voir le jour après 9 mois passés à l’abri de mon bidon.
Pendant ces deux fois 9 mois où j’ai été un cocon, j’étais tellement bien. A ma place. Utile. Puissante même. Rien d’autre ne comptait, même les menaces d’accouchement prématuré. J’ai passé environ 3 mois allongée lors de ma première grossesse, et là encore, c’était doux, simple, évident. A aucun moment je n’en ai souffert. A aucun moment je ne me suis inquiétée pour ce bébé. Inconscience peut-être, ou bien quelque chose de plus fort que moi qui me portait. C’est ça, j’étais comme portée, moi qui portait la vie.
Pendant ces mois alitée, j’ai brodé, j’ai regardé la série Friends en boucle, en VF et en VO, alors que je connaissais déjà les épisodes par cœur. Le futur papa m’avait bricolé un truc pour que je puisse me servir de l’ordinateur sans m’asseoir. Je parle d’une époque qui remonte aux premières années du 21ème siècle, où nous avions ce gros écran cathodique avec la massive unité centrale qui va avec. L’installer en dehors d’un bureau classique n’était pas simple, et j’avais pour compagnon un ingénieur ingénieux. J’ai ainsi eu tout le loisir d’écumer les forums de grossesse, et de découvrir les histoires de vie de nombreuses autres femmes qui cocoonaient aussi. J’ai découvert qu’il y avait tellement de façons de vivre une grossesse, tellement de difficultés possibles. J’ai compris que j’étais une sacrée chanceuse de me sentir portée. Je n’avais rien fait de spécial pour ça. C’était là, simplement. De façon évidente.
Pendant que je regardais Mélanie Laurent à l’écran ce soir de printemps-là, je savais. Je savais que je vivais mes dernières heures avec ce bébé au creux de moi. C’était imperceptible, mais je savais que le travail avait commencé. Une certitude qui n’avait rien d’explicable, qui, presque, ne m’appartenait pas. Et j’étais sereine, tranquille. Aucune envie ou besoin de filer à la maternité, juste profiter de ces derniers moments en osmose avec mon enfant dans mon corps. Son papa se reposait dans la chambre. Sa sœur dormait à poings fermés. C’était doux, c’était beau. Cette parenthèse était magique. Douce. Tendre. J’étais à mille lieux d’imaginer ce qui allait suivre.
Aujourd’hui quand je repense à cet accouchement, les images qui viennent sont très différentes. La fulgurance, l’intensité des contractions, le désarroi de mon conjoint au téléphone avec le SAMU, les yeux encore endormis de ma toute petite fille qui ne comprend pas les cris de sa mère. Cris que je retiens au maximum tant qu’elle est là, et qui me sont si utiles pour accueillir la douleur.
Et au milieu de tout ça, toujours la confiance chevillée dans ma tête et dans mon cœur. A aucun moment je ne doute d’y arriver. Là encore, je sais. Je sais faire, je peux le faire. Certitude absolue.
Cette certitude m’a quittée à l’instant où mon fils a poussé son premier cri. Là c’est le doute qui a pris la suite. Est-ce qu’il va bien ? Comment en être sûre ? Je me suis tellement préparée à l’accouchement, que j’en ai oublié de me préparer à l’après. Je n’avais pas prévu qu’il n’y aurait personne d’autre que nous, parents, pour vérifier la santé de ce nouveau-né. On aurait dû être à la maternité. Et je m’en veux de ne pas avoir anticipé. Après tout, j’ai tellement souhaité que cet accouchement soit naturel, c’est sans doute ma faute s’il a eu lieu si rapidement. C’est ma faute si mon bébé se retrouve dans le froid du salon sans sage-femme. C’est ma faute si mon conjoint est paumé et choqué par ce qu’il vient de vivre en l’espace d’une heure. C’est ma faute si ma fille se retrouve en pleine nuit chez sa nounou sans comprendre ce qu’il se passe.
Ambivalence maternelle, te revoilà.
Je t’ai déjà souvent croisée depuis la naissance de ma fille aînée. Et là, après quelques mois d’accalmie, alors que je quitte le cocon que j’étais, je te retrouve. Je redécouvre le doute, la peur, et l’amère culpabilité maternelle. Après la confiance absolue, place à l’appréhension et l’auto-jugement.
Bienvenue dans le monde ambivalent de la maternité.