Marie est une maman très dévouée. Elle a à cœur que tout le monde soit heureux. Elle travaille 4 jours par semaine, et s’occupe de tout dans la maison, pour le confort de chacun. Ses enfants et son mari sont tellement habitués qu’ils n’y font plus attention. La maison est toujours rangée, le frigo toujours rempli, les vaccins toujours à jour, les vacances toujours réservées à l’avance.
Pour pouvoir réussir tout ça, Marie profite que les enfants soient couchés pour avancer un maximum de choses en soirées. Elle se couche tard, et se réveille souvent en pleine nuit en pensant à ce qu’elle a oublié, ou pas eu le temps de faire dans la journée. Elle exploite d’ailleurs ces heures d’insomnie pour compléter sa To Do List du lendemain.
Les proches de Marie trouvent qu’elle est une maman formidable, à toujours faire passer ses enfants avant le reste. Elle est aussi celle à qui on demande facilement un service, puisqu’elle ne dira jamais non et est aux petits soins pour tout le monde. Bref, Marie c’est la Super-Maman qu’on rêverait toutes d’être. Une Super-Maman Parfaite aux yeux de tous.
Seulement voilà, il y a ses yeux à elle aussi. Les yeux de Marie qui sont cernés par le manque de sommeil et le stress de vouloir toujours bien faire. Ses yeux coulent parfois en silence quand, sur le chemin du retour du boulot, elle énumère tout ce qu’elle a encore à faire ce soir. Ses yeux se ferment tout seuls quand elle prépare le repas, et restent obstinément ouverts quand elle voudrait bien dormir au beau milieu de la nuit.
Marie ne se voit pas comme un super héroïne. Elle pense même qu’elle n’en fait pas assez. Elle se reproche de hausser le ton sur ses enfants quand ils refusent d’aller prendre leur douche. Elle voudrait arrêter de penser au travail quand elle est à la maison, et vis versa. Elle voudrait être plus disponible pour son mari. Et puis elle voudrait passer du temps avec ses amies, mais se sait ni quand ni comment. Elle s’en veut aussi de ne pas s’occuper mieux de son père malade.
Parfois, en attendant les enfants devant l’école, Marie regarde les autres mamans et se dit qu’elle est nulle. Elle les voit discuter entre elles, et les envie de rire et jouer avec leurs enfants, de les emmener au parc. Comment font-elles ? C’est sûr, elle s’y prend mal, elle n’est vraiment pas à la hauteur. Une mère au rabais, voilà ce qu’elle est. Mais elle n’a pas le temps de s’apitoyer, sa deuxième journée commence : écouter le récit de chacun des enfants, rassurer, consoler, encourager. Puis les devoirs, le bain et le repas, avant leur coucher. Et ensuite la To Do List à avancer, avant de s’allonger enfin. En croisant les doigts pour dormir d’une seule traite.
Au fil des années, Marie continue de jongler avec toutes ses responsabilités. Et ça lui demande encore plus d’efforts depuis que son dos la fait souffrir. Ça a commencé il y a quelques années déjà. Un mercredi matin elle s’est retrouvée coincée en passant l’aspirateur sous le canapé. Une douleur fulgurante l’a traversée et il lui a fallu plusieurs minutes avant de pouvoir se relever. Mais il fallait bien continuer sa journée, emmener les enfants à leur cours de tennis. Alors Marie a serré les dents, et s’est promis d’aller voir son médecin dès que possible. Ce n’est qu’un mois plus tard, lors de la visite programmée pour sa fille, qu’elle en a touché 2 mots au médecin. Il a évoqué que parfois le corps lance des messages à sa façon. Marie hausse les épaules, accepte les antalgiques et repousse l’arrêt de travail qu’il lui propose.
Depuis cet épisode, il ne se passe pas un mois sans que ses douleurs ne se fassent ressentir. En particulier lors des périodes de rush au boulot, ou du côté familial. Notamment en juin, lorsque s’enchaînent les kermesses, les spectacles et les goûters de fin d’année. Pourtant Marie ne fait pas le lien. Elle supporte sans se plaindre, comme d’habitude.
Deux années plus tard, Marie est en arrêt de travail à la suite d’une lourde opération du dos qui l’a immobilisée pendant plusieurs mois. On peut dire qu’elle ne vit pas ça très bien. Depuis qu’elle ne travaille plus et qu’elle ne peut plus prendre soin des siens comme avant, Marie s’emporte tout le temps. Elle s’en veut terriblement de faire subir ça à sa famille. Et plus elle s’en veut, plus elle est en colère. Et plus elle s’énerve sur les autres, plus elle culpabilise. Le cercle vicieux infernal.
A bout de force, Marie finit par aller voir quelqu’un pour l’aider avec cette colère démesurée. Elle fait ce choix pour ses enfants, pour qu’ils ne subissent plus ses émotions à elle. Et là, Marie se sent accueillie et écoutée. Elle ne s’attendait pas à ce que ça lui fasse autant de bien, quel soulagement ! Après quelques séances, à son plus grand étonnement, la douleur commence à diminuer.
Petit à petit, Marie apprend à prendre soin d’elle. Ça lui paraissait inconcevable jusqu’ici et maintenant elle le fait sans culpabiliser. Parce que c’est comme les consignes de sécurité dans les avions en cas de dépressurisation :
Il faut se saisir du masque à oxygène qui tombe devant soi, le fixer avec l’élastique derrière sa tête,
puis aider les personnes autour de soi, comme les enfants.
Prendre soin de soi d’abord, pour mieux prendre soin des autres ensuite.
Une fois la colère apaisée, Marie se rend compte que la maison a survécu à son absence lors de son hospitalisation. Ses enfants et son mari ont mis en place une nouvelle organisation dans laquelle chacun a un rôle. Et ça fonctionne très bien comme ça, les enfants sont même fiers de lui montrer. Marie pourrait tout reprendre en main dès sa guérison et repartir comme avant. Sauf qu’entre temps, elle a revu ses priorités. Elle a aussi choisi quel modèle de mère et de femme elle voulait transmettre à ses enfants, et pris des décisions dans ce sens.
Depuis, entre autres changements, régulièrement Marie part en week-end avec des amies, en laissant sans mari ni enfant. Elle part le cœur léger et profite de ces quelques heures de liberté pour s’aérer l’esprit et s’amuser. Quand elle revient, elle est souriante et apaisée, prête à partager de bons moments en famille. Une famille qui n’a jamais été aussi unie et complice, et dans laquelle les tâches sont désormais partagées.
Parfois Marie se demande où elle en serait si elle n’avait jamais eu ce problème de dos.
Il y a certaines questions auxquelles on préfère ne pas donner de réponse …